XY-Chapitre 3

06/11/2013 21:34

Loodlyn était sortie de la cité par une petite porte discrète et peu connue, les portes officielles étant bien trop encombrées pour qu'elle aie une chance de passer. La sortie qu'elle avait empruntée avait l'inconvénient d'être placé au sud-ouest de la cité, donc elle dut la contourner avant d'arriver à peu près là où elle le souhaitait.

Ensuite elle se mit à marcher tout droit. Elle ne savait pas exactement où est-ce qu'elle allait, mais elle espérait qu'elle arriverait bientôt quelque part où elle pourrait se renseigner et se procurer les choses nécessaires, grâce à la bourse que son Seigneur lui avait donnée. Elle se doutait qu'elle devrait sans doute cheminer plus ou moins avant, mais elle n'était pas inquiète : elle avait toujours de quoi survivre avec elle dans sa sacoche. Elle ne s'en séparait jamais.

Loodlyn s'arrêta un instant pour boire. Le soir commençait à tomber, et il faisait un peu froid, mais la jeune fille avait l'habitude d'être dehors, souvent même toute la nuit. Elle réfléchit. Elle connaissait assez bien les environs, pour les avoir souvent explorés depuis sa petite enfance. Elle savait que cette nature déserte d'hommes s'étendait assez loin, donc qu'elle ne pourrait arriver nulle part avant, au moins, une journée.

Elle connaissait plusieurs abris sûrs, et décida de s'arrêter au premier qu'elle rencontrerait pour y passer le reste de la nuit. Ensuite, le lendemain matin, elle pourrait repartir, et surtout, réfléchir à ce qu'elle ferait ensuite.

Un certain temps plus tard, la nuit était tout à fait tombée. Loin d'avoir sommeil, Loodlyn se sentait légèrement euphorique et marchait tranquillement en admirant les étoiles. La jeune fille connaissait bien les étoiles, même si elle n'avait appris aucune constellation, pour s'être souvent endormie en les contemplant. Elle aimait bien rester éveillée la nuit, car elle se sentait plus calme et plus réfléchie.

Il faisait de plus en plus noir. Loodlyn avait quelques allumettes dans sa sacoche, mais elle préférait les réserver aux urgences. De toute manière, elle avait l'habitude de l'obscurité. Elle avait fini par la trouver finalement plus rassurante que la lumière, parce qu'elle lui permettait de se dissimuler, d'être invisible, de voir sans être vue.

Au bout d'encore un certain  temps, Loodlyn commençait à éprouver une certaine léthargie. Sa conscience lui échappait peu à peu, ce qui était normal, quand elle avait passé une journée riche en émotion et qu'elle restait éveillée tard dans la nuit. Aussi, lorsqu'elle se retrouva près    d'un refuge qu'elle connaissait, elle fut malgré tout soulagée.

La jeune fille se réfugia à l'intérieur de la petite merveille qu'elle avait découverte des années plus tôt : une caverne qui gardait sa chaleur pendant la nuit. Elle s'y était souvent abritée quand elle s'aventurait dans la nature, et cela l'avait bien protégée.

A l'intérieur, l'obscurité était totale ou presque. Mais au bout de quelques instants, elle distingua une forme, par terre. Elle s'approcha silencieusement. En regardant sous un certain angle, elle s'aperçut que la forme était en réalité une fille, qui devait avoir à peu près le même âge qu'elle. Elle était roulée en boule et dormait profondément. Loodlyn sourit. C'était sûrement une réfugiée de la cité. Elle devait tout de même être assez endurante, si elle avait parcourue cette distance. Loodlyn comprenait qu'elle soit fatiguée.

Elle-même ne se trouva pas la force de chercher un autre refuge plus tranquille. Elle essaya de s'allonger confortablement, serrant tout de même contre elle son couteau, au cas où. Fatiguée par sa journée et sa première partie de nuit, elle s'endormit, rapidement.

 

Loodlyn ouvrit les yeux. Elle sut, aussitôt, que la fille s'était réveillée en même temps qu'elle. Loodlyn se leva d'un bond et se plaça sans réfléchir en position de défense, son couteau dans la main.

Pendant, un instant, les deux jeunes filles s'observèrent, les yeux verts de l'une contre ceux, marrons, de l'autre. L'autre fille n'était pas armée. En fait, elle n'avait rien avec elle, excepté cet étrange sachet doré. Mais elle avait une certaine force dans le regard, qui contredisait son apparente fragilité. Loodlyn se détendit légèrement, mais ne baissa pas pour autant sa garde.

-Qui est-tu ? demanda-t-elle, d'un ton peu amical.

L'autre n'avait pas très envie de répondre, mais elle avait peur, même si elle faisait tout pour le cacher. Elle finit par donner une réponse qui n'en était pas vraiment une :

-Je suis une échappée de la cité.

-Mais qui es-tu précisément ?

La jeune fille ne répondit pas tout de suite, se contentant de regarder Loodlyn dans les yeux. Puis, elle estima qu'il était sans doute plus prudent de dire la vérité.

-Je m'appelle Lénaëlle de Mélimène. articula-t-elle lentement avec une fierté qu'elle ne ressentait, en réalité, pas du tout. Et avant que Loodlyn n'aie eu le temps de poser la question la plus évidente, elle ajouta :

-Et oui, je suis la sœur de la nouvelle femme du prince. La belle-sœur du prince, en fait.

Lénaëlle ressemblait peu à sa sœur. Alors qu'Anise avait de longs cheveux blond et des yeux bleus, les cheveux de Lénaëlle étaient bruns et ses yeux, marron. Loodlyn s'attendait à tout, sauf à ça. Elle finit par dire :

-Si c'est vrai, alors, je suppose que je dois te protéger.

Pour le plus grand agacement de Loodlyn, Lénaëlle éclata de rire.

-Me protéger, rien que ça !s'amusa-t-elle. Dis-moi, je peux savoir quel âge tu as, exactement ?

-Je ne sais pas, moi. Douze ou treize ans, sans doute, ou quelque chose comme ça. Pourquoi, tu as quel âge, toi ?

-J'ai quinze ans.

Les yeux de Loodlyn s'écarquillèrent de stupéfaction.

-Quinze ans ? Mais tu as la même taille que moi !

-Oui, je sais, je suis vraiment très petite pour mon âge, on me le dit très souvent. C'est assez exaspérant, parfois, mais ça peut aussi être très utile et pratique. Au fait, si ça ne te dérange pas, ça serait bien que tu ranges ce couteau. Ce n'est pas très rassurant, tu sais.

Loodlyn obtempéra, mais resta méfiante : elle n'était pas encore prête à accorder sa confiance à cette inconnue. Elle avait appris depuis longtemps à se méfier de tous ceux qui ne lui avait pas prouvé leur sincérité.

Les deux jeunes filles sortirent de la grotte (Loodlyn ayant insisté pour passer derrière), puis allèrent s'asseoir en haut de la colline, sur la pierre qui était largement assez grande pour elles deux. Loodlyn sortit de sa sacoche de quoi boire et manger, et le partagea avec Lénaëlle. Elles restèrent silencieuses pendant plusieurs minutes, puis Lénaëlle prit à nouveau la parole :

-Comment se fait-il que tu ne saches pas quand tu es née ?

-Parce que je n'ai jamais connu mes parents. J'ai grandi dans les rues de la cité, moi, je n'ai jamais eu de maison.

-Oh.

Loodlyn n'aimait pas beaucoup parler de cela et le faisait rarement. Quand à Lénaëlle, elle qui vivait avec toutes les strates de la population, se sentait inexplicablement gênée au contact de ces enfants, sans foyer, sans famille et sans repères. Elle, bien que n'étant pas forcément aussi heureuse que l'on puisse l'être en ce monde, n'avait jamais manqué de rien.

Entre temps, Loodlyn s'était mise debout et, sur la pointe des pieds, tentait d'apercevoir au loin le village le plus proche. Elle redescendit finalement de la pierre et fit mine de s'en aller.

-Où vas-tu ? questionna Lénaëlle, perdue.

-Je continue ma route. Je pars par là-bas, j'ai beaucoup de choses à accomplir, répondit Loodlyn en désignant vaguement une direction, je crois qu'il y a un village. Et toi, où comptes-tu aller ?

Lénaëlle ne savait pas quoi répondre. Elle hésita pendant quelques instants, avant de finalement se décider à déclarer :

-Je viens avec toi !

Loodlyn ne voulait pas, bien entendu. Mais après de longues minutes de vaines discussions, qui ne servirent qu'à lui faire perdre du temps, elle finit par accepter de se faire accompagner, au moins pour le début de son périple, par Lénaëlle.

Toutes les deux se mirent silencieusement en marche. Elles ne firent qu'une courte pause à midi. Ensuite, elles commencèrent à discuter et poser des questions, et apprirent chacune des choses sur l'autre.

Lénaëlle, la plus jeune de sa fratrie, était en réalité une enfant "accidentelle" : ses parents n'avaient jamais voulu de sa naissance. Et comme sa mère avait trouvé la mort en lui donnant la vie, elle était peu aimée par sa famille, hormis par un de ses frères. Elle avait été éduquée comme l'était toute jeune fille de naissance noble, tout en passant beaucoup de temps dehors et en côtoyant les gens ordinaires.

Loodlyn, soumise dès son plus jeune âge à la violence des rues, n'aurait pas pu survivre sans sa ténacité, sa volonté et ses ressources. Le fait d'avoir dû se débrouiller toute seule depuis toujours ne lui avait pas laisser la possibilité de garder une innocence d'enfant, et lui donnait souvent la maturité d'une adulte. Elle avait été aidée, dans la seconde partie de son enfance, par un seigneur qui n'était pas le sien mais avait su gagné son respect ; or, Loodlyn estimait ne rien devoir aux personnes qui n'avaient pas gagné son respect.

Vers la fin de l'après-midi, les deux marcheuses aperçurent quelques maisons et, un peu plus tard, elles pénétrèrent dans le village.

Ce village n'était pas très grand, mais ce n'en était pas non plus un minuscule comme on en trouvait beaucoup. Il y avait une grande auberge à étage, quelques commerces et un certain nombre de maisons sombres, sans étage, très caractéristiques de cette région. A cette heure où le soleil brillait et chauffait encore, de nombreux villageois étaient dehors, animant les rues de leurs conversations et de leurs querelles.

Loodlyn et Lénaëlle s'arrêtèrent en même temps, réfléchissant à ce qu'elles allaient faire à présent. Lénaëlle, entourée de personnes, était à nouveau dans son élément. Elle prit soin de rabattre sa capuche, histoire de ne pas être reconnue : la jeune fille ne tenait pas à être traitée avec des égards. A présent, elle allait reprendre les choses en main. Loodlyn tenait à acquérir les affaires nécessaires à son voyage, mais également quelques informations. Et pour cela, le plus efficace était de se trouver au cœur de la vie d'un village. En l'occurrence, la jeune fille pensait trouver ce qu'elle cherchait à l'auberge.

A côté d'elle, Lénaëlle était parvenue en même temps qu'elle à la même conclusion, et elles déclarèrent toutes les deux en même temps :

-Moi, je vais à l'auberge !

Les deux jeunes filles sourirent et Loodlyn reprit la parole :

-Qu'est-ce que tu comptes faire, de toute façon ? Tu n'as pas d'argent. Reste avec moi, je paierai pour toi. Au point où on en est...

A l'entrée de l'auberge, une enseigne affichait : "Au Point de Ralliement - Gîte - Couvert".

 

Les clients se retournèrent en entendant la porte s'ouvrir. Deux filles entrèrent, très jeunes, presque des enfants. L'une était vêtue d'habits disparates, vieux et abimés. L'autre portait des vêtements de qualité, beaux, trop pour une simple fille ordinaire. Elle avait sur la tête une capuche dont dépassaient de longues tresses et gardait la tête baissée, ce qui l'auréolait de mystère.

Les deux filles s'assirent à une table. Puis, quelques temps plus tard, l'une d'entre elles, celle qui avait le visage découvert, et dégageait une impression d'assurance et de courage, se releva et se dirigea vers un homme accoudé au comptoir.

-Qu'est-ce que tu veux, gamine ? grogna l'homme. Retourne chez tes parents, c'est pas un endroit pour les enfants, ici.

-Ca, c'est sûr que ça serait plus pratique à faire si j'en avais. Je veux juste savoir ce qui s'est passé à la cité.

-C'est vraiment ça que tu veux ? Tu as de la chance. Va voir Germain, celui qui est seul, là. Il était là-bas, il a tout vu, il est arrivé ce matin à cheval. Et maintenant, me déranges plus, môme.

La fille hocha la tête et se dirigea vers l'homme en question. En effet, il était seul et paraissait plongé dans des idées noires. Malheureusement, malgré toutes ses tentatives, il n'adressa pas la parole à la jeune fille. En fait, il faisait comme si elle n'était pas là.

En soupirant, elle finit par retourner vers sa compagne et lui expliqua la situation. L'autre, aussitôt, eut un mystérieux sourire et murmura :

-C'est parce que tu ne m'as pas encore laissé essayer.

Sûre d'elle, elle s'approcha de l'homme à son tour, se pencha vers lui et retira lentement son capuchon.

-S'il-vous-plaît...

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