XY-Chapitre 2

06/11/2013 21:31

Lorsque l'alerte avait été donnée, Lénaëlle n'avait pas hésité une seconde : elle était sortie immédiatement. Elle n'avait pas cherché à emporter  quoi que ce soit. Elle était partie aussitôt, et seule. Ses frères voudraient rester pour se battre, elle le savait.

Au milieu de l'affolement générale, Lénaëlle était passée inaperçue ; personne n'avait tentée de l'empêcher de partir. De toute manière, il n'y avait pas beaucoup de monde : presque tous assistaient au mariage. Mais pas elle. Elle, ça l'écœurait.

A présent, elle courait dans les rues de la cité. Celles qu'elle parcourait étaient désertes. Elle courait aussi vite qu'elle le pouvait : d'après ce qu'elle avait entendu, il valait mieux ne pas rester sur place. Elle n'avait quasiment rien avec elle : les habits qu'elle portait (jupe, collants, chemise et veste élégants, en plus des chaussures et des sous-vêtements) et un sachet doré suspendu à un cordon noir autour de son cou.

Lénaëlle était habituée à courir, même en jupe, mais elle connaissait mal la cité. Aussi, elle décida de continuer à une allure plus modérée, mais de manière réfléchie. Les rues étaient calmes, car elle s'éloignait avec soin des clameurs qu'elle entendait.

Au bout de quelques minutes, la jeune fille sortit d'une ruelle vide pour déboucher sur une avenue bien plus animée. Elle remarqua une plaque indiquant : "Avenue du Soleil". Lénaëlle se souvint d'être arrivée à la cité par une certaine "Porte du Soleil". Elle décida donc de remonter l'avenue, même si elle était envahie par la cohue, sûre de toucher au but.

L'avenue n'avait effectivement rien à voir avec les ruelles silencieuses. Elle était en effervescence ; partout les gens s'affolaient, criaient, se cherchaient, se bousculaient. Des enfants en larmes réclamaient leurs parents ; des parents paniqués appelaient leurs enfants. Et tous se dirigeaient dans la même direction. Là où ils allaient, tout au bout de l'avenue, Lénaëlle aperçut une grande porte dorée, celle-là même que l'on nommait la Porte du Soleil.

La jeune fille marcha donc rapidement vers cette Porte, qui était l'échappatoire la plus proche. A l'approche des deux battants d'or, la bousculade se faisait plus serrée. Les plus forts se débrouillaient pour passer devant les autres, et ceux qui tombaient le faisait de manière définitive. Ils se faisaient littéralement marcher dessus. Lénaëlle, avec sa silhouette frêle et sa petite taille, avait très peu de chances d'arriver à la sortie sans dommages. Il devenait pourtant de plus en plus urgent de quitter la cité. En se mêlant à la cohue, Lénaëlle avait plus ou moins compris ce qui se passait. Et ce n'étaient pas de bonnes nouvelles.

La jeune fille regarda autour d'elle. Elle repéra quelques colosses. Des gens du peuple, brutaux, sans manières et sans morale. Eux ne pouvaient pas convenir, eux ne pouvaient pas l'aider.

Mais un homme parmi tous attira son regard. Il était grand, et sa tête dépassait de la foule. Il était aussi assez musclé. Elle le vit remettre sur pied une personne qui s'était fait bousculer. Il était enfin situé suffisamment près d'elle pour que son idée puisse fonctionner. Avant de la mettre en pratique, elle se rapprocha encore de l'homme en se glissant entre les gens, de manière à se trouver juste derrière lui.

Soudain, Lénaëlle se mit à sangloter. L'homme qui était juste devant elle se retourna et lui adressa doucement la parole :

-Qu'est-ce qui se passe ? Tu as un problème ? Je peux t'aider ?

Et Lénaëlle répondit, en ayant soin de cacher son visage entre les mains :

-J'ai perdu mes parents... Ils sont passés de l'autre côté, mais moi, je n'y arriverai pas...

Et elle se remit à sangloter un peu plus fort. L'homme, la prenant en pitié, l'attira vers lui et lui chuchota :

-Ne t'inquiètes pas, fillette, je vais te faire passer la grande Porte.

A cause de sa petite taille, Lénaëlle passait souvent pour plus jeune qu'elle ne l'était réellement, ce qui pouvait parfois avoir quelques avantages. L'homme la souleva et la plaça sur ses épaules. Même ainsi chargé, il n'eut aucun mal à fendre la foule. Pendant tout le trajet, elle garda la tête baissée, ses cheveux encadrant son visage.

Sitôt la Porte passée, la foule était beaucoup moins dense. De nombreuses personnes restaient tout de même sur place, angoissées, attendant, guettant l'arrivée de leur famille ou de leurs amis. Lénaëlle descendit des épaules de l'homme, le remercia, puis feignit d'apercevoir ses parents. Elle fit quelques pas dans une direction quelconque, puis lorsque l'homme fut parti, s'arrêta.

Elle avait entendu dire que le danger venait de l'ouest ; or, la Porte du soleil se trouvait justement à l'opposé, à l'est de la ville. C'était précisément pour cette raison que tant de monde tentait de l'emprunter. Une fois qu'ils avaient réussi, ils n'avaient plus qu'une idée en tête : fuir, le plus loin et le plus rapidement possible.

"Quels lâches", aurait pensé Gaël, le frère de Lénaëlle. Lui, il aurait préféré mourir que fuir. D'ailleurs, songea-t-elle avec une certaine tristesse, c'était sûrement ce qui allait arriver. Gaël mourrait en combattant, ou du moins, il n'avait presque aucune chance de s'en sortir. Que valait au combat un jeune garçon de dix-sept ans, même enthousiaste, face à une armée entraînée et sans scrupules ?

Lénaëlle réfléchit. La nuit tomberait bientôt, elle avait besoin de trouver un endroit où s'abriter. Elle savait qu'elle ne pourrait compter sur l'aide de personne, seulement sur elle-même. Elle regarda autour d'elle. Derrière, la cité ; pas question d'y retourner, elle avait eu suffisamment de mal à en sortir. Devant les plaines par lesquelles elle était venue. Son échappatoire était sans doute là.

La plupart des gens partaient par le chemin ; Lénaëlle décida donc de ne pas l'emprunter et de passer plutôt au milieu des herbes folles et des collines, ce qui était, sinon plus pratique, au moins plus tranquille.

Lénaëlle était venue à cheval et par le chemin, donc elle ne pouvait pas vraiment se diriger grâce à ses souvenirs. Heureusement, elle avait passé tout le voyage à observer le paysage, et avait une assez bonne mémoire. Par exemple, elle se rappela avoir croisé l'arbre au pied duquel elle fit une très courte pause, parce que c'était le seul des alentours et qu'elle y avait cueilli un fruit. Cette fois encore, elle en mangea un. Il s'avéra qu'il était aussi délicieux que celui qu'elle avait dégusté quelques semaines auparavant, même s'il était un peu moins juteux.

Ensuite, Lénaëlle repartit. Elle commençait à avoir soif. Malheureusement, elle n'avait pas d'eau sur elle, et aucune rivière ne coulait à proximité. Elle continuait dans cette direction car elle savait qu'elle rencontrerait un village. Mais quand ? A pied, elle allait beaucoup moins vite qu'à cheval. Elle se demandait si elle pourrait continuer assez longtemps pour arriver aussi loin. A présent, le soir tombait, il n'y avait plus personne aux alentours, et Lénaëlle commençait vraiment à s'inquiéter.

Car même si elle parvenait jusqu'au village, que ferait-elle ensuite ? Si elle ne voulait pas se mentir à elle-même, elle devait s'avouer qu'elle n'en savait rien. En faisant le choix de la fuite, et elle avait fait ce choix, elle avait aussi fait le choix de laisser sa famille derrière elle. Lénaëlle avait l'habitude de devoir prendre des décisions rapidement, mais elle se demandait si elle n'aurait pas à la regretter, cette décision-là.

Car à présent, elle était toute seule. Lénaëlle avait également l'habitude de devoir assumer les conséquences de ses choix. Elle pourrait gagner un village, peut-être se trouver un cheval, mais ensuite ? Pour aller où ? Chez elle ? Personne ne l'y attendait. Peut-être n'aurait-elle pas dû quitter la cité, finalement. Peut-être aurait-elle dû prendre le risque.

Pouvait-elle faire demi-tour ? Regagner la cité ? Non, probablement pas, maintenant qu'elle était partie. Les combats devaient déjà avoir commencé, à présent. Il était trop tard. Si elle avait voulu rester à la cité, il eût fallu le décider lorsqu'elle y était encore.

Lénaëlle avait toujours été raisonnable. Lorsqu'elle avait entendu l'alerte, elle avait automatiquement pris la décision la plus raisonnable qui se présentait à elle : prendre la fuite et se mettre à l'abri. A présent, elle s'en voulait, et elle voyait bien que ce n'était de toute manière qu'une question de temps : si cette mystérieuse armée prenait la cité, elle ne s'y arrêterait sans doute pas ; et au rythme auquel Lénaëlle avançait, cette armée la rattraperait très rapidement. Donc si cette armée était destinée à gagner, qu'elle soit ici où là-bas ne ferait pas une grande différence. D'ailleurs, la cité aurait sans doute eu de plus nombreuses chances de vaincre si plus de gens étaient restés pour se battre. Des gens comme elle.

Lénaëlle commençait aussi à avoir froid, maintenant. Sa veste et sa chemise étaient assez légères, elles n'étaient pas faites pour affronter la nuit tombante. Ce qui était fait pour la nuit, dans la vie de Lénaëlle, c'était une chemise de nuit et un édredon.

Soudain la jeune fille eut très envie de se mettre à pleurer, mais pas pour jouer la comédie, cette fois-ci. Elle avait envie de pleurer sincèrement. A cause des regrets, du froid, de la soif , mais aussi et surtout de la peur. Elle avait peur de ce qui allait arriver. Soudain, elle ne voyait plus d'échappatoire, plus de solution, plus de porte de sortie, et c'était très douloureux.

Lénaëlle s'arrêta et s'assit par terre, à même l'herbe et la terre. Et aussi les cailloux, mais elle s'en aperçut à peine. En cet instant, elle aurait tout donné pour qu'il ne se fût rien passé du tout. Elle frissonna, et ferma, un à un, les boutons de sa veste.

Le sol était assez inconfortable, et Lénaëlle se releva au bout de quelques minutes à peine. Elle se remit à marcher, pas tant pour avancer que pour avoir moins froid. Elle n'y voyait pas grand chose, dans la nuit noire. Elle sentit que le sol s'incurvait sous ses pieds : elle grimpait une colline, et la pente était raide. Elle continua ainsi pendant un temps qui lui parut bien plus long qu'il ne l'était en réalité.

Arrivée en haut, Lénaëlle s'assit sur une pierre blanche, qui avait une étrange forme de croissant de lune. La jeune fille ramena ses genoux contre sa poitrine, et, l'endormissement la gagnant, elle replongea dans ses souvenirs...

 

C'était une belle journée, en plein milieu de l'après-midi. Il faisait chaud. Lénaëlle chevauchait gaiement Pomme, sa jument à la robe claire. Soudain elle se lança dans un galop haletant et distança les autres membres de l'équipée. On lui avait dit qu'ils arriveraient bientôt, en fin de journée, et elle voulait profiter des derniers moments du voyage.

Lénaëlle ralentit et s'arrêta pour attendre les autres. Lorsqu'il la rejoignirent, Emilio, qui dirigeait le cortège, déclara :

-On fait une pause ! Les chevaux ont besoin de souffler.

Lénaëlle arrêta sa jument et mit pied à terre. Elle, n'ayant pas besoin de se reposer, décida d'escalader une colline proche. Cela lui prit quelques minutes. Parvenue en haut, elle regarda autour d'elle. La colline n'étant pas très haute, la vue n'était pas vraiment époustouflante, mais elle était déjà suffisamment intéressante. Pour y voir mieux, elle monta debout sur la pierre en forme de croissant de lune qui se trouvait exactement au sommet de la colline.

La jeune fille descendit, ensuite, par un autre versant que celui qu'elle avait emprunté pour monter. Alors qu'elle était à peu près au milieu, elle découvrit un trou, un tunnel. Poussée par sa curiosité, Lénaëlle y pénétra.

Le tunnel était long d'environ trois mètres, et débouchait sur un endroit sombre et humide : une grotte à l'intérieur de la colline. La lumière du jour l'éclairait très légèrement par le tunnel. La salle n'était pas très grande, un petit peu plus petite que la chambre de Lénaëlle chez elle. Les parois et le plafond étaient d'une pierre lisse et douce. Le sol était recouvert de terre.

Soudain la jeune fille entendit un appel retentir à l'extérieur de la grotte :

-Lénaëlle ! On repart !

-J'arrive ! cria-t-elle.

Et elle rampa à nouveau le long de l'étroit tunnel, avant de ressortir pour rejoindre ses compagnons et repartir vers la cité.

 

Lénaëlle émergea soudain de sa somnolence. La grotte ! Auparavant, elle n'y avait pas repensé, tant elle était fatiguée. Mais à présent, tout était clair dans son esprit. Elle se souvenait parfaitement de ce tunnel qu'elle avait découvert sur un autre versant de la colline, celui qui se trouvait du côté de l'arrondi du croissant de lune.

La jeune fille, qui sentait un regain d'énergie, se leva de la pierre sur laquelle elle était assise. Celle-ci étant blanche, elle se voyait à peu près dans la nuit et Lénaëlle repéra aussitôt l'arrondi. Elle commença à redescendre la colline de ce côté. Le tunnel était là, comme prévu. La jeune fille s'engagea à l'intérieur.

Il faisait bon, dans la grotte. L'épaisse couche de terre était bien plus confortable que le sol à l'extérieur. Lénaëlle, épuisée, s'allongea par terre, recroquevillée sur elle-même, et s'endormit aussitôt.

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